13 septembre 2016

Les chefs des « partis de gouvernement » pris de vertige

Par Jean-Pierre Brun

Devant les déferlantes populistes qui, à travers l’Europe entière, s’abattent sur les partis encore dits de gouvernement, il est de notre devoir d’apporter à leurs dirigeants une aide « citoyenne », ne serait-ce qu’en leur rappelant certains principes que, dans ces moments de panique, il ne faut surtout pas oublier.

Léon Gambetta énonçait un postulat que tous les chefs de parti devraient inscrire sur les portes de leurs toilettes pour le méditer dans la profonde solitude qui sied à tout homme de réflexion : « On gouverne avec son parti, on administre avec ses capacités. »

S’il succède au lendemain d’un revers quelconque à tel ou tel camarade plus ou moins en disgrâce, le chef de parti, dans les jours qui suivront, fustigera les siens en rappelant le truisme de Péguy : « Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique. »

Pour peu qu’il ait la foi, il pourra même adresser au Tout-Puissant cette prière vieille comme le monde : « Mon Dieu, protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en occupe. »

Lorsqu’il accède à la conduite de son parti, l’infortuné adoubé doit tout d’abord savoir « qu’il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé des problèmes pour les résoudre. »

Il devra aussi admettre le théorème de Paul Valéry : « La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde », y compris et surtout ceux de son propre camp. Il veillera à la propreté presque corporelle de ces derniers en pensant à la précieuse remarque de Jean Yanne : « S’il existait une école de la politique, les locaux devraient être édifiés rue de la Santé. Les élèves pourraient s’habituer. »

Un chef de parti aguerri doit avoir toutes les qualités d’un bon chef d’orchestre. Ses réelles capacités seront mises en évidence lorsque, dans l’exécution d’un pot plus que pourri, il devra concilier les mesures « d’un scrutin de Liszt avec celles d’une sonate au clair de l’urne », tout en veillant bien sûr à ce que ses instrumentistes interprètent la même partition.

Auparavant il devra s’assurer que sa transcription est conforme aux valeurs nouvelles : « Une noire vaut une blanche » par exemple. Pour maîtriser la cacophonie, il n’hésitera pas à user du bémol, de la sourdine et du silence dont on dit, plus qu’ailleurs, qu’il est d’or. Il devra mettre au diapason les ténors quelque peu tonitruants. Bref, comme le conseillait le docteur Wegeler qui avait l’oreille de Beethoven deux fois plutôt qu’une : « A bon entendeur, salut ! »

Un humoriste prétendait que « l’homme politique sage doit toujours voir les choses venir de loin pour pouvoir les étudier de plus près. »

Souvent trop imbu de son rôle, et pour peu qu’il sorte de l’ENA, source intarissable de l’Omniscience et de l’Infaillibilité conjuguées, il ne devra surtout pas ignorer ce conseil, fût-il celui d’un bateleur d’estrade : « Mais Mon Dieu ! Que c’est dur ! »

Demandez donc à un chef de parti quelle est l’épreuve, hélas imposée, qu’il redoute en premier.

« L’interview ! », vous répondra-t-il le plus souvent.

Malheureusement pour lui qui prétend contribuer sinon participer à la conduite du char de l’État, il est supposé avoir réponse à tout. Or, comme le notait l’éminent politologue Jean Yanne déjà cité, « étant bon à tout, il ne peut être que propre à rien ». D’où la nécessité d’une prudence redoublée. Rappelez-vous les irruptions malencontreuses de Madame de la Fayette et de Patrick Modiano sur la scène médiatico-politique. Il lui est donc recommandé de recourir aux enseignements de deux maîtres qui, dans cet exercice périlleux excellaient : De Gaulle et Mitterrand. Le premier ne traitait vraiment d’un sujet que si c’était lui qui l’avait imposé lors de la préparation de son intervention. Mieux il n’hésitait pas à répondre à une prétendue question qui, en fait, ne lui avait pas été posée. Le rusé François quant à lui, ne dérogeait jamais à ce curieux principe : « Il ne faut jamais faire de réponse embarrassée à une question embarrassante »… Tout en soulignant le danger d’être trop net dans l’expression de sa pensée : « Ne nous embarrassons pas de formules trop précises. Elles risquent de nous faire perdre. »

Un autre danger réside dans l’averse des sondages d’opinion qui, en ces périodes de crise, tombent comme à Gravelotte. Or, ainsi que le constatait Yvan Audouard, « quand un homme politique recule dans les sondages, c’est rarement pour prendre son élan ». Là réside en effet un vrai danger car le citoyen en est de plus en plus friand. Faire alors en sorte de le noyer immédiatement sous le flot de sondages parasites qui détourneront son attention vers des sujets plus consensuels. Un exemple : « Est-il préférable d’être riche et bien portant plutôt que pauvre et malade ? »

Les soirs de désastre électoral, dans ses interventions publiques, le vaincu suggérera fortement (exercice délicat, il faut en convenir) qu’il n’est responsable de rien, victime des autres qui sont capables de tout. En conséquence de quoi on peut affirmer que, tel le phénix, le politicien malin saura tôt ou tard renaître des cendres des professions de foi et des bulletins de vote très vite incinérés. En vue de cette résurrection et pour laisser une bonne impression, il pourra se draper dans sa dignité en évoquant Paul-Louis Courier : « Le plus bel acte dont l’homme soit capable, renoncer au pouvoir ». Et plus prosaïquement, en son for intérieur, il fera sienne la sagesse de Michel Audiard affirmant qu’« Il vaut mieux s’en aller la tête basse que les pieds devant. »

Les soirs de victoire, l’homme politique soufflera enfin en pensant qu’il dispose désormais de toute une mandature pour reprendre des forces car « la conquête du pouvoir fatigue plus que son exercice. »

Qu’il est doux de ne plus rien faire quand tout continue à s’agiter autour de vous.

Et il pourra benoîtement faire sienne la remarque de l’expert Edgar Faure : « Voici que s’avance l’immobilisme et nous ne savons pas comment l’arrêter. »

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Philippe Randa,
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