3 août 2017

Charles, Karl ou Carolus ?

Par Pierre de Laubier

Sur le parvis de la cathédrale de Paris s’élève une statue massive de Charlemagne. Mais, au fait, qu’est qu’elle fiche là ? N’aurait-elle pas plutôt sa place à Berlin ? En tout cas, les efforts des historiens du XIXe siècle, pour faire de Charlemagne le prédécesseur d’Hugues Capet ou de Guillaume II auraient plongé l’intéressé dans la perplexité.

Au cours de son règne, Charlemagne fut en perpétuel mouvement. Ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il s’établit à Aix-la-Chapelle, à la jonction des parties anciennement gauloises et germaniques de l’empire. Du moins telles qu’on les considère aujourd’hui, car Charlemagne ne se voyait ni comme roi de France, ni comme empereur d’Allemagne, mais comme empereur romain. En tout cas pas comme un successeur de Vercingétorix ! Ni de Clovis, car il s’est établi dans une ville qui se trouve au cœur du territoire d’origine des Francs, alors que l’ancienne Lutèce était déjà le centre de gravité des Gaules : Paris était même considéré, sous les Mérovingiens, comme une sorte de possession indivise des rois francs.

Était-il donc allemand ? Il parlait certes le tudesque, mais aussi le latin, dont il fit la langue officielle d’un empire multilingue, multiculturel et décentralisé, comme il l’était sous les premiers successeurs de César. Il connaissait d’ailleurs aussi le grec et le syriaque. S’il fonda une école au sein de son palais, s’il ordonna l’ouverture d’une école auprès de chaque église cathédrale, ce fut pour transmettre la culture latine. Il est aussi à l’origine de l’écriture romane, inspirée des caractères antiques. Et, quoi qu’on en dise, la langue latine se portait fort bien. À tel point que les historiens, du XVe siècle au XIXe siècle, ont considéré comme des faux tous les textes de l’époque rédigés en beau latin… C’est que les humanistes italiens avaient oublié qu’ils étaient venus eux-mêmes réapprendre le latin classique qu’on enseignait notamment à Chartres.

Faire de Charlemagne l’un des rois d’une France qui n’existe toujours pas, où l’empereur d’un empire d’Allemagne destiné à renaître dans la galerie des Glaces du château de Versailles en 1871, sous l’autorité de Guillaume Ier, c’est lire l’histoire à l’envers.

Ce que Charlemagne cherche à continuer, c’est le passé ou pour mieux dire le présent. Car les provinces de l’ancien empire romain ont gardé, depuis leur conquête et en dépit des grandes invasions qui les ont fait changer de maîtres, les mêmes limites. Elles continuent d’être gouvernées par des élites pétries de culture latine et qui portent des titres romains.

Cette continuité devient invisible si l’on persiste à fourrer plusieurs siècles de l’histoire dans un grand sac appelé « Moyen Âge ». La vision du XIXe siècle, qui cherche à donner à chaque état national existant ou en devenir les origines les plus lointaines possible, masque le fait que l’organisation de l’Europe est à la fois impériale et régionale, et non pas nationale.

En réalité, ce qui va être un tournant de l’histoire de l’Europe n’est pas voulu par Charlemagne : ce sera le partage de l’empire en trois parties par les fils de son successeur Louis le Pieux.

Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.

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Philippe Randa,
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