9 décembre 2017

Anagni et Avignon

Par Pierre de Laubier

La politique de Philippe IV le Bel trahit un changement de conception de la nature des liens entre le roi et ses sujets : les principes de la féodalité cèdent le pas à la notion de souveraineté. Ça peut se comprendre. L’ennui, c’est que le roi n’a reçu aucun mandat de ses vassaux – qui sont aussi ses électeurs – pour agir ainsi. Nul n’a remis sa propre souveraineté entre les seules mains du roi.

Pourtant, Philippe le Bel agit comme si c’était le cas. Les baillis et sénéchaux, établis par Philippe II afin de recueillir les plaintes des sujets désireux d’en appeler de la justice seigneuriale à la justice du roi, se mirent à lever impunément toutes sortes de taxes. En fait, le roi fit comme si la France tout entière était le domaine royal, soumis à l’immixtion de ses fonctionnaires (qui ne sont encore que quinze cents).

Il voudrait bien traiter de même ses vassaux ecclésiastiques, ce qui l’entraîna dans un grave conflit avec le pape. C’est ainsi qu’en 1301, opposé à la création de l’évêché de Pamiers, il fit arrêter l’évêque nommé par Boniface VIII, en vertu d’une accusation de haute trahison forgée de toutes pièces par Guillaume de Nogaret, son principal conseiller. Le pape convoqua les évêques français à Rome pour examiner cette conduite. Nogaret fit publier une version falsifiée de cette lettre, de manière à blesser l’amour-propre des Français. Indigné, le pape excommunia Philippe le Bel et délia ses sujets de leur serment de fidélité.

Nogaret, décidément expert en faux (c’est lui qui a inventé les accusations contre les Templiers), accusa le pape de toutes sortes de crimes imaginaires, non sans l’accabler d’injures : « Maître de mensonges, blasphémateur, pestiféré, loup dévorant ». Le roi fit rédiger par ses fidèles légistes une demande de mise en jugement devant un concile, dont il fit donner lecture dans le jardin de son palais (1303). Il enjoignit aux auditeurs d’y adhérer ; ceux qui déclinèrent cette aimable invitation furent jetés en prison. Pendant ce temps, Nogaret, s’étant rendu en Italie à la tête d’une bande de soudards, avait surpris Boniface VIII à Anagni. Sommé d’abdiquer et accablé d’avanies, le vieillard resta inébranlable. Au bout de deux jours, la ville se souleva contre les intrus et les chassa. Mais Boniface VIII, brisé par l’épreuve, mourut peu après.

Son successeur, Benoît IX, leva l’excommunication du roi, mais pas celle de Nogaret. Qu’à cela ne tienne : celui-ci le fit empoisonner. Philippe le Bel fit alors élire un homme à sa main, Clément V, qui se hâta d’absoudre Nogaret et alla jusqu’à déclarer que le roi n’avait agi que « par un zèle bon et juste ». Toutefois, cet homme courageux, craignant (non sans raison) l’hostilité des Romains, s’établit à Avignon (1309). Un siècle durant, ses successeurs, français comme lui, allaient demeurer dans cette ville.

L’établissement de la papauté en Avignon mit un terme au principe d’unité de la chrétienté entretenu par les papes. L’abaissement de la papauté, devenue un instrument du roi de France, priva l’Europe d’un arbitre capable de refréner les ambitions nationales. Enfin, le séjour des papes en Avignon prépara le grand schisme d’Occident de la fin du XIVe siècle. Pour le plus grand bien de la France ? Rien n’est moins sûr.


Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.

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Philippe Randa,
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