24 avril 2016

Recep Erdogan n’aime pas être pris pour une « Tête de Turc »

Par Philippe Randa

 

Le gouvernement allemand vient d’autoriser l’ouverture d’une enquête à l’encontre de l’humoriste Jan Böhmermann, en vertu des lois sur la diffamation, après un sketch controversé où il s’en prend au dirigeant turc Recep Erdogan… Son « poème » est certes particulièrement outrageant, puisque ce dernier y est présenté comme amateur de galipettes sexuelles avec des partenaires très en deça de la limite d’âge judiciairement tolérée, et plus encore de pratiques contre-nature avec l’espèce caprine…

Sa « Tête de Turc » au sens de l’humour qu’on peut comprendre limité a immédiatement porté plainte en se basant sur un article du code pénal allemand : insulter le représentant d’un État étranger est en effet un délit passible de trois ans de prison.

Le Monde nous rappelle que « certes l’article remonte à 1871. Son objectif était d’éviter une escalade qui pourrait déboucher sur un conflit armé, ce qui n’est plus d’actualité », mais qu’il n’a plus servi depuis les années 70 du siècle dernier, en l’occurrence à la demande du chah d’Iran et du général Pinochet…

Il fallait toutefois que le gouvernement allemand donne son feu vert à la justice pour qu’elle entre en jeu. Ne pas s’y résoudre aurait pu déboucher sur une crise diplomatique certaine. Celle-ci est donc évitée. Pas la crise politique, puisque le parti social-démocrate (SPD) a immédiatement désavoué publiquement cette décision de la chancelière : une première depuis l’entrée en fonction de l’actuel gouvernement en décembre 2013 !

Angela Merkel a tenu à préciser, pour justifier la décision de son gouvernement, que « dans un État de droit, il ne revient pas au gouvernement, mais au procureur et au juge d’évaluer le droit de la personne par rapport à la liberté de la presse et de l’art… »

Et auparavant, elle avait également rappelé son engagement « à ce que des droits fondamentaux comme la liberté d’opinion, la liberté artistique ou la liberté de la presse soient respectés (et qu’elle exigeait) aussi ce respect et cette protection de la part de la Turquie… »

Elle n’en apparaît pas moins désormais comme celle qui a cédé aux ordres du Maître d’Ankara, connu pour limiter de façon souvent brutale la liberté d’expression dans son propre pays…

Si tous les goûts sont dans la nature, l’humour n’a donc pas tous les droits dans l’espace public allemand, en tout cas pas davantage que dans le nôtre, l’humoriste Dieudonné l’ayant appris à ses dépends, bien avant son confrère teuton…

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