29 août 2016

De la versatilité des hommes politiques

Par Jean-Pierre Brun

La récente embauche par une banque américaine de José Manuel Barroso, le précédent Président de la Commission Européenne, vient de défrayer la chronique. Comment l’un des principaux acteurs de la crise financière européenne, le supposé médecin chef traitant d’une économie anémiée victime d’une infection en grande partie d’origine chinoise et américaine, peut-il en arriver là ? Scandale pour les Grecs que le praticien avait mis au sévère régime diététique de la « pita-gore ». Trahison pour d’autres qui accusent le Portugais d’abandonner le radeau bruxellois pour rejoindre le torpilleur « Goldman Sachs », fleuron de la flotte U.S. Mais comme le notait déjà Talleyrand l’insubmersible : « En politique, la trahison est affaire de date. »

Dans ce « maquerocosme », plus qu’ailleurs, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.

À la question portant sur les préoccupations qui seraient désormais les siennes au lendemain de son succès, l’heureux élu d’une législative partielle répondit : « Assurer ma prochaine réélection ». À suivre les arcanes politiciens, on peut se demander quel est le seuil où la boutade devient profession de foi. D’autant que ce qui se limitait hier à un hexagone franchouillard s’inscrit désormais dans un polygone européen totalement incertain, tant il devient protéiforme. La candidature est une chose, l’investiture en est une autre. Comme le rappelait fort justement Ibn Kanoun, le chroniqueur rostémide qui, par une journée torride, longeait le Chott el Hodna : « il ne faut pas confondre boire et avoir soif ». Et que ne ferait-on pas pour étancher sa soif de pouvoir ?

On connaît la mésaventure du caméléon se hasardant sur un plaid écossais. Le vrai politicien, lui, ne saurait redouter la moindre métamorphose épidermique compte tenu de son accoutumance aux eaux irisées dans lesquelles il barbote quotidiennement.

Yvan Audouard, observateur pour le moins original de ses semblables, exprimait une réalité on ne peut plus garante de l’opiniâtreté de nos parlementaires et de nos ministres dans ce domaine : « Il y a des gens qui n’ont de constance que dans la versatilité. »

La démocratie n’y est pour rien car déjà le cardinal de Retz notait : « Il faut souvent changer d’opinion pour rester de son parti. » Oui, mais pour en changer, encore faut-il en avoir. Les députés « godillots » du général De Gaulle en restent le plus bel exemple : « — Dutrognon, quelle heure est-il ? — L’heure qui vous plaira, mon général ! »

Le président Faure, un spécialiste en la matière, avait pu en faire l’un de ces mots si appréciés des chroniqueurs : « Si vous n’avez pas d’opinions politiques, prenez donc les miennes ». Ce sur quoi avait renchéri Pierre Desproges dans cette pertinente proposition : « Je pense, donc tu suis. »

Le même Edgar, notre joyeux ministre, que des mauvais esprits comparaient à une manche à air, avait su clouer le bec à ses détracteurs par une formule dont il avait le secret : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. »

Plus prosaïque est l’interprétation que certains sages donnent à cette versatilité. Ainsi, pour Jules Renard, « c’est une question de propreté : il faut changer d’avis comme de chemise. »

La mère Denis qui eut son heure de gloire télévisuelle, en bonne lavandière paysanne qu’elle était, aurait eu une intuition autrement plus retorse : « Si certains hommes politiques changent d’idée comme de chemise, ceux qui ne varient jamais dans leurs convictions doivent avoir du linge bien sale. »

Tout cela est intéressant, mais on ne saurait oublier que, trop souvent, entre le programme d’un candidat, d’une sincérité garantie inoxydable, et ses votes dans l’hémicycle, une fois élu, il y a des grands écarts difficilement compris par ses électeurs. La discipline de parti a bon dos. D’ailleurs, pour un militant, grognard hors d’âge qui en a subi d’autres, ce peut être un mal pour un bien : « Les gens qui ne tiennent jamais leur promesse sont les seuls à qui on puisse faire entièrement confiance. »

Il existe quelques exceptions qui imperturbablement ont su garder le cap, mais comment ? Un Président du conseil de la IVe République confiait à ses collaborateurs : « Ma politique ? C’est justement de n’en avoir aucune ». Dans ces conditions, en effet, comment aurait-il pu retourner une veste qu’il n’avait jamais portée ?

Mais pour conclure cette chronique qui se veut pourtant d’actualité, laissons le dernier mot à l’antique philosophe Krassos de Corinthe, par ailleurs disciple d’Euclide, qui adapta ainsi le postulat de son maître : « La ligne droite est le plus court chemin du succès à l’échec. »

À bon entendeur, salut.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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