9 juin 2017

Terrorisme global, partisan global

Par Aristide Leucate

 

Le terrorisme islamique est devenu depuis quelques années un phénomène omniprésent qui, par sa singulière violence, sa sauvagerie inouïe, son imprévisibilité voire sa relative ubiquité contribue à déstabiliser la société occidentale. Il est à prévoir que son prolongement dans le temps corrodera profondément les ressorts de cette dernière qui – par sa morale émolliente et son aboulie structurelle dues à son mode de vie extrêmement relâché centré sur le double principe du désir et du plaisir – s’écroulera sur elle-même, engendrant un collapsus d’autant plus destructeur qu’il aura nourri par un processus de conflictualisation croissante de la société.

Dans sa fameuse et indépassable Théorie du partisan, le juriste Carl Schmitt prophétisait implicitement cette mutation en prenant appui sur la courbe ascendante du progrès technologique et sur les bouleversements d’ordre anthropologique qu’il impliquerait : « Que se passera-t-il si un type humain qui, jusqu’à présent, a donné le partisan, réussit à s’adapter à son environnement technique et industriel, à se servir des moyens nouveaux et à développer une espèce nouvelle et adaptée du partisan ? […] Qui saura empêcher l’apparition […] de types d’hostilité nouveaux et inattendus, dont la mise en œuvre engendrera des incarnations inattendues d’un partisan nouveau ? »

Sans nous appesantir sur une définition du terrorisme qui peut, a minima, s’analyser comme une agression (physique ou matérielle) réitérée de haute intensité en temps de paix, nous nous attacherons à cette figure inédite que Schmitt pressentait, le « partisan global » (kosmopartisan). L’idéal-type du partisan devait initialement, selon Schmitt, répondre à quatre caractéristiques : « irrégulier » (« le soldat ennemi en uniforme est la cible par excellence du partisan moderne »), « politique » (« l’engagement politique intensif […] caractérise le partisan de préférence à d’autres combattants. Ce caractère politique intensif du partisan est à retenir, ne serait-ce que parce qu’il est nécessaire de le distinguer d’un vulgaire bandit et criminel, dont les motivations sont orientées vers un enrichissement privé »), « mobile » (souple ou flexible) et « tellurique » (« le lien avec le sol, avec la population autochtone et avec la configuration géographique du pays »).

De ce point de vue, Carl Schmitt fait du partisan un « soldat » politique sui generis dont le rapport à l’ennemi est principalement asymétrique dans la mesure où, explique Alain de Benoist, « c’est précisément parce que le terroriste ne dispose pas des moyens de confrontation classiques qu’il recourt au terrorisme », à cette notable différence d’avec le partisan de l’époque napoléonienne, par exemple, qu’« avec le terrorisme global, cette asymétrie se généralise à tous les niveaux » précise de Benoist (Carl Schmitt actuel, Krisis, 2007) qui isole l’asymétrie des « acteurs » (puissance publique versus organisation terroriste), des « objectifs » (incertitude quant aux cibles et à la date de l’évènement), des « moyens » (une poignée de fanatiques rend obsolète la Défense d’un pays) et celle « d’ordre psychologique » (en ce sens que le terroriste se rend d’autant plus effrayant et épouvantable qu’il ne craint pas la mort et qu’il est surexposé à la lumière médiatique).

Il est, cependant, une autre dimension qui confère au partisan une plasticité relativement déroutante, mais inhérente à la société liquide. La fluidité ou mobilité du partisan, n’est plus seulement d’ordre tellurique ou territorial. Le mouvement ne se conçoit plus seulement comme le fait de se déplacer avec plus ou moins de célérité ou encore de restituer quasi instantanément une actualité qui se déroulerait à l’autre bout de la planète. Le partisan est devenu coextensible, au point que la victime potentielle peut imperceptiblement se muer, demain, en implacable et aveugle tueur de masse.

Et inversement, le terroriste repenti s’exposant à expier son apostasie sous les balles ou les coups de couteau de ses anciens amis. À cet égard, il est particulièrement instructif d’observer les commentaires de voisinages attestant, la main sur le cœur, que leur voisin de palier, citoyen exemplaire ne souffrait aucune remontrance du corps social. Jusqu’à ce qu’il passe à l’acte. Si, pour reprendre le titre d’un film d’André Cayatte, « nous sommes tous des assassins », il n’en est pas moins vrai que nous sommes également tous des partisans. Ce qui distingue, néanmoins, le tueur passionnel, d’occasion ou en série du partisan, réside fondamentalement dans le caractère éminemment idéologico/politique de ce dernier. Ensuite, le psychopathe demeure soumis à la pression sociale, quand le partisan met volontairement sa peau au bout d’un idéal qui le transcende.

Mais ce qui renforce encore la réversibilité sinon l’impermanence translative du partisan réside encore dans la transversalité – ou, plus justement dit, la transversatilité – des acteurs sociaux. Concernant, les partisans « traditionnels », soit les combattants révolutionnaires en armes, le regretté Zygmunt Bauman reconnaissait qu’ils « sont tous en définitive ‘‘transnationaux’’. Ils le sont aussi dans leur comportement : mobiles, affectés à aucun lieu, ils changent facilement de cible et ne reconnaissent aucunes frontières » (La société assiégée, Le Rouergue/Chambon, 2005). Du côté de la société profonde, on observera que le partisan, qu’on appellera le partisan de masse, à la fois victime et auteur potentiel du terrorisme de masse, s’est littéralement liquidé dans la vie ou la société éponyme, au point de n’être plus reconnaissable, repérable, localisable. « La vie dans la société moderne liquide, ajoute Bauman, est une version sinistre du jeu des chaises musicales » (La vie liquide, Le Rouergue/Chambon, 2006).

Les récents attentats commis dans le centre de Londres, comme, hélas, ceux à venir, illustrent et illustreront, à la manière macabre d’une époque qui se rit de nous voir nous débattre dans l’oubli tragique de la vie, combien, davantage, finalement que le terrorisme global, est-ce le partisan global que nous sommes progressivement devenus qui nous a depuis longtemps liquidés.

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Philippe Randa,
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