28 juin 2017

L’Entente Eurasiatique est-elle en voie de réalisation ?

Par Bernard Plouvier

Le passionnant article de M. Escobar (cliquez ici) apporte, au choix du lecteur, une vision irénique ou un survol surréaliste de la question essentielle du XXIe siècle de notre ère : l’union politico-commerciale eurasiatique succédera-t-elle au bloc occidental (Amérique du Nord – Europe Unie) ?

Au début du XXIe siècle, pour les profonds penseurs des USA, l’Europe de l’Atlantique à la Mer Noire était « l’alliée naturelle » de l’Amérique du Nord, comme l’était aussi le monde islamique sunnite, singulièrement celui des émirs du pétrole et des activistes pantouraniens, de la Turquie (voire de l’Albanie, du Kosovo et de Macédoine) jusqu’au Turkestan chinois.

Toutefois, certains politologues nord-américains – ceux qui plaçaient, bien à contrecœur, les Russes parmi les Européens – estimaient que les Slaves d’Europe centrale et danubienne se rapprocheraient tôt ou tard du grand frère russe, ne serait-ce qu’en raison de l’effet d’attraction du patriarcat moscovite pour les orthodoxes. Ceci expliquait le grand intérêt des gouvernants des USA pour les islamistes des régions danubiennes, ennemis acharnés des Slaves du Sud et de la religion orthodoxe, au clergé effectivement assez intolérant, probablement en raison des persécutions endurées, du XVIe au XIXe siècles, dans les terres européennes dominées par l’envahisseur turc.

En 1997, dans un livre qui fit grand bruit (Le choc des civilisations), l’universitaire nord-américain Samuel Huntington opposait les trois blocs de civilisation qui, selon lui, se partageaient le monde depuis l’éclatement de l’URSS : le bloc démocratique (y incluant l’État d’Israël, où l’application des sacro-saints Droits de l’Homme, à commencer par la lutte contre le racisme, n’apparaît pas comme une préoccupation majeure des gouvernants ni de la majorité des électeurs) ; le bloc islamique, alors décrit comme très hétérogène (ce n’est vrai que si l’on se refuse à confondre les termes musulmans et islamistes) ; enfin, le bloc continental d’Asie du Sud-Est, qualifié de « confucéen », comme si la philosophie de Maître Kong inspirait l’expansionnisme chinois.

Le brillant universitaire prévoyait une nouvelle guerre planétaire où s’affronteraient « la civilisation judéo-chrétienne » (soit un très curieux amalgame entre une religion où le racisme endogamique est institutionnalisé et une autre, largement ouverte à l’ensemble des peuples) et une « collusion islamo-confucéenne » ! Huntington tenait la Russie pour quantité négligeable, étant jugée par lui hors de course pour très longtemps en matière d’influence planétaire.

Quinze à vingt années plus tard, tout cela est obsolète, mais la jolie prose de M. Escobar paraît fort optimiste.

Certes, en Russie, où l’on est rebuté par l’attitude des Polonais, des Baltes et des Ukrainiens – dont les nationaux se souviennent de l’impérialisme soviétique et sont très sensibles aux charmes du consumérisme occidental –, l’on abandonne pour l’heure l’idée d’un retour en force du panslavisme autant qu’une alliance avec l’Europe occidentale, jugée corrompue et indéniablement envahie d’extra-européens. Tout naturellement, l’on en vient à l’idée d’une Eurasie, étendue du Niémen au Pacifique… pour amateurs, la prose d’Alexandre Douguine est disponible en une dizaine de volumes, assez stéréotypés, traduits en français (Notamment aux éditions Avatar.

Or, du côté des hypothétiques « alliés » du nouvel empire russe, la cohésion est ce qui manque le plus. Car si Confucius ou Bouddha sont plus ou moins révérés en Chine pour l’un, en Inde et en Asie du Sud-Est pour le second, l’islamisme djihadiste est très à la mode, des États musulmans danubiens à ceux qui forment la frontière sud de la Russie, la limite occidentale de l’empire chinois et qui menacent l’Inde de trois côtés : les fameux États à la désinence en « stan », qui sont peuplés d’islamistes et, pour certains d’entre eux, de racistes pantouraniens. Et l’on n’évoque même pas les haines séculaires opposant les Hindous aux Pakistanais.

Que les chefs d’État de Moscou et de Pékin, qui dominent la plaque eurasienne de leur puissance économique et militaire, tentent de créer une zone de libre-échange, voire une sphère de coopération militaire, ne serait-ce que pour contrer le terrorisme mahométan et l’impérialisme des USA, est à la fois un essai très logique, d’une criante évidence géopolitique, et une totale utopie dans le contexte actuel… même si l’on fait abstraction du trublion imbécile nord-coréen qui peut à tout moment créer les conditions d’un conflit entre riverains de l’Océan (de moins en moins) Pacifique.

La 2e Guerre d’Irak, commencée par George Bush Junior et amoureusement poursuivie par le crypto-islamiste Barack-Hussein Obama, a permis d’engager des conversations d’états-majors entre Russes et Chinois, puis de réaliser en 2005 et 2012 des manœuvres communes, enfin de faire entraîner les premiers pilotes de l’Aéronavale chinoise par les Russes, au large des côtes… syriennes !

Mais cette coopération, jeune et encore fragile, n’implique en aucun cas un élan d’imitation par les autres puissances asiatiques, presque toutes inféodées à la politique de l’islamo-pétrodollar et de l’islamo-gazodollar, donc au géant US, certes considéré comme moribond par divers analystes, mais dont la puissance réelle demeure monstrueuse.

Les Nord-Américains surveillent amoureusement les gisements de pétrole d’Azerbaïdjan, les gisements de pétrole, de gaz et d’uranium du Turkestan, eux-mêmes lorgnés par les Russes et les Chinois, qui sont des voisins. Les Nord-Américains sont très solidement implantés dans le vaste et fort riche Kazakhstan (pétrole, uranium, fer et manganèse). Le Kirghizistan, pauvre, ne leur sert que de base militaire (comme c’est le cas du Tadjikistan, encore plus pauvre, où le gouvernement autorise toute armée qui paie en devises fortes à emprunter ses routes et ses aérodromes).

Les plateaux afghans ne permettront l’implantation de pipelines que lorsque l’on aura anéanti l’islamisme djihadiste, ce qui sera très difficile dans le pays le plus arriéré d’Eurasie, où la culture du pavot alimente les revenus des seigneurs de la guerre sainte.

Les apprentis sorciers de la politique US avaient créé, durant les années 1980, puis entretenu des mouvements terroristes islamistes dans les États caucasiens, notamment en Tchétchénie, où l’on ne compte plus les très grands trafiquants de dérivés opiacés, au Cachemire (en relation non seulement avec l’Afghanistan, mais aussi avec le Pendjab, le Bangladesh et le Pakistan, toutes zones très instables où les islamistes sont puissants), au Sin-Kiang (une énorme province mahométane de l’est de la Chine), aux Philippines (soit une excellente arrière base face au sud-est de la Chine), en Indonésie (au sol et au sous-sol très riches).

L’État Islamique n’a fait que reprendre et amplifier cette tradition de terrorisme djihadiste, sans que l’on sache s’il est en partie contrôlé par la Turquie islamiste (pro-USA) ou l’Iran (anti-USA, mais aussi anti-russe).

Autrement dit, l’Entente eurasiatique, organisée et dominée par les colosses russe et chinois, n’est qu’un projet, voire un simple rêve… en tout cas, ce n’est nullement une réalité pour demain.

Le projet alternatif, infiniment plus intéressant pour nous – et peut-être aussi pour l’avenir de l’humanité, puisque depuis le XVe siècle, c’est l’Europe qui a créé la civilisation humaniste, scientifique et technique –, serait la constitution d’un empire fédéraliste étendu de l’Islande à Vladivostok, dont les alliés naturels – du fait d’une communauté d’aptitudes – seraient la Chine et l’Inde.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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