8 avril 2016

Connaissez-vous le groupe de Visegrad ?

Par Aristide Leucate

 

Michel Onfray n’a pas tort de vilipender ce que l’on pourrait appeler le « désert français » politico-médiatique, où Paris écrase le reste du pays, par son mépris de caste allant de pair avec sa patrimonialisation oligarchique du Pouvoir. Ainsi, « en France, affirme-t-il, une poignée de gens disposent des leviers de commande dans chaque domaine. En ce qui concerne la pensée, les tenants d’un ordre idéologique qui se fissure voient leur pouvoir leur échapper – d’où le fait qu’ils sont aux abois et se comportent en bêtes blessées chargeant brutalement tous azimuts… » (Marianne, 26 mars).

C’est pourquoi, par exemple, l’Union européenne et ses organisations satellites ou vassalisées occupent la majorité de l’espace médiatique et politique, moins parce que ces institutions seraient légitimes et exclusives en soi, que par l’option délibérée de la majorité des journalistes de ne pas parler de ce qui existe en marge ou « à côté » (lire, à ce propos l’éclairant ouvrage de Ingrid Riocreux, La langue des médias, l’Artilleur, 2016).

À cet égard, force est de constater que le V4 ou « Groupe de Visegrad », constitue cet angle mort médiatique, sauf à ce que tel obscur « chercheur » en sciences sociales en dévoile l’existence pour mieux le dénigrer, sinon le diaboliser, à l’instar de Catherine Horel, directrice de recherche au CNRS et auto-promue « spécialiste » de l’Europe centrale, qui le voit comme « une espèce de plate-forme parallèle » dont les membres, habités par « l’angoisse de disparaître » auraient « un intérêt commun à fermer leurs frontières aux migrants » (La Croix, 16 février).

Le V4 naquit en février 1991, sur ce qui deviendrait bientôt les ruines fumantes d’un empire soviétique en déliquescence, alors que l’Allemagne travaillait déjà d’arrache-pied à sa réunification acquise lors de la chute du Mur de Berlin. À l’origine, il s’agissait de constituer un axe géopolitique centre-européen devant accompagner l’adhésion progressive de ses membres (initialement, la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie) à l’Union européenne et à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). En d’autres termes, une organisation supranationale qui sert les desseins d’une autre d’une autre…

Les mânes de cette cité hongroise où, après y avoir déplacé sa cour et édifié son palais, Charles Robert de Hongrie y conclut en 1335, un accord d’alliance avec les rois de Pologne (Casimir Le Grand) et de Bohême (Jean de Luxembourg), eussent pu, probablement, inciter à d’autres projets d’essence moins mondialiste, sauf à perdre de vue qu’à l’époque (même si ce n’est plus le cas aujourd’hui), pour la majorité des peuples de l’Est, l’espoir soufflait à l’Ouest, ce, en dépit des imprécations lucides de Soljenitsyne lancées à la face de l’Occident devant l’université d’Harvard, le 8 juin 1978.

En outre, le « Triangle » devenu « Quadrilatère » de Visegrad, consécutivement à la partition de la Tchéquie et de la Slovaquie en 1993, n’a jamais su, en définitive, adopter de positions communes, frictions et pierres d’achoppements caractérisant un mode de relation diplomatique plus velléitaire que véritablement coopératif. Comme l’observait très justement Jana Vargovčíková, de l’université Charles de Prague, le Groupe « est plutôt un lieu de coordination entre des intérêts communs préexistants, mobilisé pour les soutenir et amplifier la voix de leurs porteurs dans l’UE et qui n’exclut pas d’éventuelles coalitions extravisegradiennes » (Politique étrangère, 2012).

À cet égard, le rejet actuel de la politique européenne des quotas obligatoires d’immigrants ne fait que renforcer le Groupe, au demeurant, informel, dans une posture de légitime raidissement/résistance vis-à-vis des inconséquences conjuguées de Bruxelles et de Berlin.

« Nous tombons d’accord sur le fait que le débat sur les quotas a un seul objectif : détourner l’attention publique du vrai problème, le fait que l’Europe se montre incapable de réguler l’immigration », déclarait récemment le chef du gouvernement tchèque Bohuslav Sobotka.

Néanmoins, au-delà de cette solidarité verbale de façade, des divergences demeurent. Leur mise sous le boisseau semble due, pour l’essentiel, à un équilibre opportuniste, forcément temporaire, entre des gouvernements à coloration nationale-populiste (Hongrie et Pologne) et des régimes à tendance plus social-démocrate (Slovaquie et République Tchèque).

Aussi l’espoir, nourri chez certains souverainistes en Europe, de voir, un jour, apparaître ce Groupe comme un moyen de rebattre les cartes de l’actuel Babel européo-bruxellois, reste-t-il un doux rêve, une fuligineuse utopie pseudo-complotiste. En 2011, Jiří Čistecký, un des coordinateurs du V4, confessait que son « grand avantage, qui est en même temps sa plus grande faiblesse (…) est précisément qu’il n’a aucune finalité. Il évolue et réagit ». Tout semble dit.

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