27 mars 2017

Nathan Bedford Forrest ou la légende blanche du vieux Sud

Par Aristide Leucate

Quel diable d’homme était-il ? Nathan Bedford Forrest, car c’est de lui qu’il s’agit, est à l’image de la terre qui le vit naître le 13 juillet 1821 à Chapell Hill, dans le comté de Bedford, Tennessee, d’un père forgeron et d’une mère qui ne mettra pas moins de onze enfants au monde. Le Tennessee ? État de la « frontier », celle d’une civilisation de la forêt et des trappeurs.

Nathan Bedford Forrest (éditions Déterna)

Nathan Bedford Forrest (éditions Déterna)

D’ailleurs, « cette année-là, les Tennessiens élisent un député à leur mesure : Davy Crockett ! « le Roi des frontières sauvages » [The King of the Wilds Frontiers que célèbre une fameuse chanson] ! Pas uniquement le chasseur d’ours des livres pour enfants [car] il se révélera aussi un excellent politicien défenseur des petits exploitants agricoles et des Indiens, plusieurs fois réélu, et finira défenseur du mythique Fort Alamo, en 1836, où il mourra en héros à 49 ans ! Quelle vie ! » s’exclame Paul-Louis Beaujour, l’auteur de cette superbe fresque biographique de Nathan Bedford Forrest, abondamment illustrée de photos d’époque – ce qui rend l’ouvrage d’autant plus unique qu’il est le seul traitant en langue française de cette figure majeure de l’histoire de la Guerre Civile Américaine.

Une terre hors-norme, donc, pour des personnages hors du commun, tel ce Bedford Forrest, au physique herculéen, à l’élégante stature qui, dès son plus jeune âge, témoigna d’une personnalité bien trempée et d’un inébranlable courage, sinon d’une suicidaire témérité. Il emboîtera d’ailleurs le pas de son illustre prédécesseur en rejoignant, à vingt ans, la compagnie de volontaires du Capitaine Wallace Wilson en faveur de la fraîchement autoproclamée République du Texas, alors aux prises avec le Mexique.

S’ensuivra une vie d’aventures et de péripéties où il accomplit presque tous les métiers et fonctions que pouvaient offrir, à l’époque, ces contrées vastes et hostiles mais très prometteuses à qui n’hésitait pas à retrousser ses manches. Il sera agent de police, marchands d’esclaves, planteur, millionnaire, promoteur immobilier, conseiller municipal de la ville de Memphis, arbitre de duel, trafiquant d’armes, bâtisseur de chemins de fer… Et soldat. Mieux, héros !

Le 8 juin 1861, le Tennessee décide de quitter l’Union et de rejoindre les États Confédérés d’Amérique. Il s’enrôle – avec son plus jeune frère et son fils de quinze ans – dans l’armée sudiste et acquiert rapidement ses galons de lieutenant-colonel. L’homme sait faire preuve d’une ingéniosité à toute épreuve et d’une remarquable intelligence tactique. Il se bat comme mille hommes, effectuant des moulinets avec son sabre, ignorant les balles qui sifflent à ses oreilles, hurlant, poussant sa monture contre des Bleus ébahis et incrédules. Certes, il sera plusieurs fois blessé, parfois sérieusement, mais toujours, il se relèvera, souvent sans attendre la fin d’une trop longue convalescence qui le laissait, à son goût, trop longtemps éloigné de l’odeur de la poudre. Meneur d’hommes impitoyable, impulsif, irascible, il fera quelquefois montre d’une certaine insubordination à l’égard de ses supérieurs.

Le 12 avril 1864, Forrest encercle le fort Pillow, anciennement bâtie par les Confédérés en 1861 et occupés, depuis avril 1864, par 600 fédéraux dont la moitié sont d’anciens esclaves. Bedford Forrest ouvre le feu et demande la reddition inconditionnelle des occupants. Ceux-ci refusent et Forrest lance l’assaut du fort ; ses hommes, une fois à l’intérieur, ne font pas de quartiers.

Il deviendra la bête noire, l’homme à abattre du terrible et sanguinaire général nordiste, William Sherman lequel écrira ces mots à Abraham Lincoln : « Forrest, c’est le diable ! Même si l’on devait sacrifier dix mille hommes et mettre en faillite le Trésor Fédéral ça en vaudra la peine ! Il n’y aura jamais de paix au Tennessee jusqu’à ce que Forrest soit mort ».

Mais autant d’énergie dépensée et d’abnégation guerrière n’auront guère raison du Nord qui imposera sa victoire au vieux Sud, le 9 avril 1865 à Appomatox en Virginie. Un autre combat, « âpre, injuste, vicieux, cruel » attendra alors Bedford Forrest, celui de la « Reconstruction ». La morgue haineuse et l’humiliant et condescendant dédain des Nordistes à l’égard des vaincus deviennent vite insupportable. Les Noirs sont libérés et les États sécessionnistes sont, notamment, invités à ratifier le 13e amendement de la Constitution des États-Unis qui prohibe l’esclavage.

Le soir du 26 décembre 1865, à Pulaski, au Tennessee, un curieux club émerge du cerveau légèrement embrumé par l’alcool d’une poignée d’ex-officiers confédérés. Affublés de draps blancs, ils décident de sortir en ville en poussant des hurlements tellement effrayants qu’ils font fuir les Noirs sur leur passage, ceux-ci croyant assister à la réincarnation fantomatique des soldats confédérés morts au combat. Le Ku Klux Klan était né et allait rapidement se doter d’une organisation et de rituels spécifiques. Comme le souligne Paul-Louis Beaujour, « l’exaspération des Blancs étant à son comble, la rapidité avec laquelle le KKK recrute et se développe est tout simplement phénoménale. […]. ‘‘L’Empire Invisible’’ [ainsi qu’on dénomme cette nouvelle organisation albo-américaine] essaime dans tous les États du Sud et bientôt, ce sont quatre à cinq mille groupes qui portent haut, dans tout le Sud occupé, bafoué et humilié, le flambeau de la résistance blanche ».

Nathan Forrest est poursuivi judiciairement, suite à une véhémente campagne de presse l’accusant des pires exactions au Fort Pillow. Dans la foulée, est proclamé le XIVe Amendement consacrant, tout uniment, l’égalité devant la loi, le droit de vote des Noirs et l’interdiction à tout ancien rebelle sudiste de prétendre à un mandat politique fédéral. « La boucle de la Reconstruction dite ‘‘radicale’’ est bouclée : téléguidés par le Parti Républicain, seuls les Noirs, les scalawags, les carpetbagggers et les Blancs pro-nordiste pourront dorénavant jouer un rôle politique dans le ‘‘nouveau’’ Sud ». Le 2 juin 1867, Forrest, bien qu’il ait toujours nié son appartenance, prête serment au grand Hôtel Maxwell House de Nashville et entre au Klan en tant que Grand Sorcier. Le mouvement prend alors un essor considérable, oscillant, dans une logique « contre-révolutionnaire », entre « expéditions strictement punitives » et « opérations d’intimidations ultra-violentes ».

Frayant un temps avec le Parti Démocrate, quittant le KKK, non sans l’avoir d’abord dissous après avoir estimé que le Sud était désormais pacifié et protégé, Bedford Forrest proclamera publiquement sa foi en adhérant, en novembre 1875, à l’Église presbytérienne de Memphis. Il mourra dans son lit, miné par la maladie, le 29 octobre 1877, après un bref entretien avec l’ancien président de la Confédération, Jefferson Davis.

Aujourd’hui, tandis que sa statue équestre trône fièrement au Health Sciences Park de Memphis, « Bedford, comme on le surnomme, [demeure] l’incarnation de l’Américain que détestent ou font semblant d’ignorer les bien-pensants du médiatiquement correct : courageux, travailleur inlassable, viscéralement attaché à ses traditions, à sa famille et à sa patrie. Ce ne sont évidemment plus des valeurs très estimées de nos jours… », observe encore, admiratif mais un brin ironique, Paul-Louis Beaujour.

Nathan Bedford Forrest de Paul-Louis Beaujour, préface de Philippe Randa, éditions Déterna, collection « Documents pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 226 pages, 29 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.

Vous avez aimé cet article ?

EuroLibertés n’est pas qu’un simple blog qui pourra se contenter ad vitam aeternam de bonnes volontés aussi dévouées soient elles… Sa promotion, son développement, sa gestion, les contacts avec les auteurs nécessitent une équipe de collaborateurs compétents et disponibles et donc des ressources financières, même si EuroLibertés n’a pas de vocation commerciale… C’est pourquoi, je lance un appel à nos lecteurs : NOUS AVONS BESOIN DE VOUS DÈS MAINTENANT car je doute que George Soros, David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford et autres Goldman-Sachs ne soient prêts à nous aider ; il faut dire qu’ils sont très sollicités par les medias institutionnels… et, comment dire, j’ai comme l’impression qu’EuroLibertés et eux, c’est assez incompatible !… En revanche, avec vous, chers lecteurs, je prends le pari contraire ! Trois solutions pour nous soutenir : cliquez ici.

Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

Partager :