9 juin 2016

Jean-Paul Mara, le fou furieux de la Révolution française

Par Bernard Plouvier

Fils d’un peintre en bâtiments calviniste puis catholique, Jean-Paul Mara, puis Marat (1743-1793) naît dans une enclave prussienne de Suisse. Il tentera vainement de se faire naturaliser sujet britannique puis espagnol.

C’est au plan moral un sosie de Jean-Jacques Rousseau, le talent littéraire et la tenue en moins. Il a soif de reconnaissance sociale et développe la même haine que le célèbre littérateur pour les personnes à situation faite. Se croyant perpétuellement la victime d’une cabale, il se considère comme un génie méconnu.

Il fait des études vétérinaires, puis médicales en Grande-Bretagne, de 1765 à 1776. Il publie en 1774 Les chaînes de l’esclavage, dénonçant « l’inégalité sociale » et appelant à l’insurrection contre les rois et les riches… ce vaste programme sera très minutieusement étudié par Pierre-Joseph Proudhon et Karl Marx.

De 1777 à 1786, il est médecin des gardes du comte d’Artois et joue au noble, se faisant appeler « de Marat ». Partisan de Franz-Anton Mesmer (un remarquable médecin, excellent thérapeute des névroses féminines, hélas avide d’argent et de gloriole), il publie, sans grand succès, une quinzaine de mémoires sur l’optique, l’électricité et son usage en thérapeutique. En 1782, l’un de ses frères participe aux émeutes de Genève, en compagnie d’Étienne Clavière.

En 1788, Marat est dans un état voisin de la misère. Il est atteint d’une maladie invalidante autant qu’exaspérante. Il souffre de démangeaisons chroniques, qu’il nomme « eczéma » ; il pourrait s’agir d’une gale, les bains de liqueur soufrée améliorant ses symptômes.

De 1788 à sa mort, profitant de l’agitation révolutionnaire, il publie une trentaine de pamphlets politiques et cinq journaux, dont un seul connaît un succès : Le Moniteur patriote, publié à compter du 12 septembre 1789 et renommé L’Ami du Peuple à partir du 16. Il en poursuivra la rédaction jusqu’au 21 septembre 1792, avec quelques interruptions pour cause de fuite devant la justice (aux printemps de 1790 et de 1792) ou de saisie de sa presse à imprimer.

Curieusement, une fois élu député à la Convention Nationale, il publie un autre quotidien : Le Journal de la République Française, du 25 septembre 1792 au 11 mars 1793 : le paranoïaque Marat a peut-être pensé qu’une fois élu à l’Assemblée nationale, ses idées devenaient ipso facto officielles, puis Le Publiciste de la République Française, du 12 mars 1793 à la veille de sa mort.

Ses idées restent les mêmes que durant l’ultime décennie de l’Ancien Régime : nivellement des fortunes, droit à l’insurrection du peuple contre les riches et les puissants, guerre au clergé et à tous les « ennemis de la Liberté et de l’Égalité ». Il y ajoute un monceau d’injures envers ses adversaires, soit tous les gens connus, qu’ils soient monarchistes, républicains voire « ultra-révolutionnaires ». En 1791, avant la fuite à Varennes, il est encore partisan d’une monarchie parlementaire ; ensuite, il réclame la mort du roi, l’établissement d’une République et le recours à la dictature en cas de guerre.

Il n’a guère de chance : il dépend, du fait de son domicile, de la 41e section de Paris, la section du Théâtre-Français, où il y a pléthore de démagogues : Jean-Nicolas Billaud-« Varenne », Philippe Fabre « d’Églantine », Pierre-Gaspard dit « Anaxagoras » Chaumette, François Vincent, Antoine Momoro et Georges Danton !

Il doit, pour se distinguer du lot, hurler des calomnies : contre Gilbert du Motier de La Fayette, le premier général de la Garde Nationale, contre l’astronome et académicien Jean-Sylvain Bailly, le premier maire de Paris, contre le couple royal, contre les « monarchiens » etc. Cette noble activité lui vaut plusieurs décrets d’arrestation, devant lesquels il fuit, aidé par Danton qui est ravi de son éloignement (octobre 1789 ; printemps de 1790 ; juillet 1791, après l’affaire du Champ de Mars ; mars 1792).

De février à mai 1790, il se réfugie en Grande-Bretagne, puis il revient lancer un appel au meurtre des « contre-révolutionnaires » (en juillet) : même s’il ne remporte aucun succès sur le moment, il tient son personnage et ne variera plus. Il se veut le « tigre de la Révolution ».

De temps en temps, il est acclamé aux « Cordeliers », quand Danton n’y est pas. À d’autres moments, à partir de l’été de 1792, il est dépassé dans la surenchère par le « trio d’enragés » : l’ex-prêtre Jacques Roux, le très jeune (il n’a pas 23 ans) Jean Leclerc et le postier Jean-François Varlet, ainsi que par Jacques Hébert, dont le journal Le Père Duchesne, lancé en septembre 1790, a beaucoup plus de succès que le sien.

On le tient à l’écart — parce qu’il sent très mauvais du fait de ses bains soufrés, parce qu’il est espionné par les mouchards de la police et parce qu’il hurle à tout instant – de la préparation de l’insurrection des 9 et 10 août 1792, mais il sort aussitôt de sa tanière. Il vole des presses à l’Imprimerie Nationale, les siennes ayant de nouveau été saisies le 3 mai. Il parvient, avec peine, à être admis comme membre adjoint du Comité de surveillance de la Commune insurrectionnelle, le 2 septembre, et hurle qu’il faut assassiner les nobles, les prêtres, les parents d’émigrés : cette fois, il est entendu. Il est même élu député de Paris à la Convention Nationale.

Il y siège au plus haut degré de la « Montagne », interrompant les orateurs de ses hurlements, au point qu’à plusieurs reprises se pose la question de son internement aux « Petites maisons », le terme désignant alors l’hôpital psychiatrique. Il n’est admis aux « Jacobins » qu’une fois élu député. Dès le 25 septembre, à la Convention, « Girondins » et « Brissotins » veulent le faire juger pour son rôle dans les « septembrisades ». Il est défendu par Danton et Robespierre. En décembre 1792, il demande la grâce de soldats français ayant massacré des prisonniers de guerre prussiens… ce genre de comportement sera monnaie courante durant les guerres du XXe siècle, mais à l’époque il est encore considéré comme un acte criminel, déshonorant parce qu’immoral.

En février 1793, il est accusé (à tort) d’avoir fomenté une émeute à Paris. Mais le 12 avril, il est arrêté à la Convention, pour avoir publié des articles poussant « le peuple de Paris » à tuer les députés « girondins » et « brissotins ». Après une parodie de procès, le Tribunal Révolutionnaire l’acquitte le 24 avril, et Marat est triomphalement accompagné à la Convention par une foule de « sans-culottes ».

Les 1er et 2 juin, il stimule l’ardeur des émeutiers qui veulent faire ce qu’il avait préconisé en avril. La proscription des amis de Brissot, qu’il considère comme son œuvre, le rend plus agité qu’auparavant : il attaque dans son journal, les taxant de mollesse, Danton et Robespierre. À l’inverse, il s’en prend à Jacques Roux, dénonçant, le 4 juillet 1793, ses appels à la « Loi agraire » (la collectivisation des terres arables) : Marat n’est nullement un adepte du communisme de production.

Le 13 juillet, la Normande Charlotte Corday – une républicaine, proche des Girondins et des Fédéralistes – met un terme à cette carrière, si noble et si utile à son pays d’adoption. Jacques-Louis David, conventionnel « montagnard », proche de Maximilien Robespierre, et peintre très célèbre déjà en son époque, organise ses funérailles, le 16, où seuls 89 députés assistent.

Roux et Leclerc, de façon séparée, reprennent le titre L’Ami du peuple. C’est durant la phase thermidorienne, le 21 septembre 1794, que sa dépouille est transférée au Panthéon et ceci n’apparaît curieux que si l’on ignore que Maximilien Robespierre s’y était formellement opposée le 16 juillet 1793, jugeant prématurée la panthéonisation de Marat : ce n’est pas « le tigre » que l’on fête, mais Robespierre dont on conjure le souvenir. La dépouille de Marat est sortie du Panthéon en février 1795 et ses ossements jetés dans une bouche d’égout de la rue Montmartre.

Il fut le premier théoricien de la « Révolution permanente », de la responsabilité familiale des crimes commis contre la Révolution, des exécutions de masse « pour affermir la Révolution » (et ce tendre amant du peuple exigeait 200 000 têtes)… s’il fut un ancêtre d’un quelconque révolutionnaire sanguinaire, c’est de Lev Bronstein-« Trotski » !

Il avait une taille avoisinant le nanisme : 1,62 m, soit en-dessous de la taille minimale pour être accepté comme volontaire aux armées, même à la pire époque de la saignée en hommes, en 1798-99, qui a motivé la Loi Jourdan portant sur la conscription, celle qui lança le service militaire obligatoire – un « acquis de la Révolution » –, avant que l’on juge bon d’en revenir à l’armée de métier, qui était une conception d’Ancien Régime.

Marat était fort laid en plus d’être doté d’iris presque jaunes, ce qui l’a fait comparer à un félin. C’était un couard, qui ne participa jamais à une « émotion populaire », s’il les encourageait avec la dernière énergie… verbale ! Ce médecin était surtout un psychotique, en l’occurrence un paranoïaque délirant… en langage vulgaire, un fou furieux.

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