8 mars 2017

Défense, frontières, commerce : de nouvelles priorités…

Par admin

La Commission européenne s’est dite prête le 1er mars à perdre de son influence dans certains secteurs politiques en échange d’un renforcement de ses pouvoirs dans les domaines de la défense, de la protection des frontières, de l’immigration, de l’antiterrorisme et du commerce.

Dans son projet de Livre Blanc sur l’avenir de l’Union Européenne après le Brexit, document à l’initiative de Jean-Claude Juncker et qui est un point de départ, l’UE avance que « L’OTAN continuera à fournir une sécurité militaire à la plupart des États membres de l’UE, mais l’Europe ne peut pas être naïve et doit prendre en main sa propre sécurité. Être une “puissance douce” ne suffit plus dans un contexte où la force peut l’emporter sur les règles. »

Cette formulation exprime déjà un certain nombre de contradictions. En effet, comment envisager un recours à l’OTAN et contre qui, alors même que les Européens sont très divisés à propos de la Russie et que la Turquie, qui n’hésite plus à insulter l’Allemagne, après avoir joué un jeu trouble avec Daech, devrait être exclue de l’OTAN et de toutes les structures européennes et paneuropéennes (Conseil de l’Europe, etc.).

Comment ne pas poser la question turque, alors même que ce pays candidat à l’adhésion, occupe militairement un État membre de l’Union européenne ? Qu’adviendrait-il de l’utilisation de l’arsenal nucléaire français, dont la puissance dissuasive réside dans sa définition nationale ? Si l’on peut envisager un accord avec l’Allemagne, puissance ayant atteint une évidente maturité, il ne peut en être de même avec les pays neutres, ou ceux instables et « revanchards » à l’égard de la Russie.

Précisons que ce Livre Blanc ne constitue pas une proposition législative concrète pour l’heure ; il signifierait néanmoins que d’ici 2025 :

  • L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes superviserait complètement la protection des frontières extérieures de l’UE. Toutes les demandes d’asile seraient traitées par une agence européenne chargée de l’asile ; cette option pour être acceptable suppose bien sûr que cette supervision soit partagée avec les forces frontalières nationales et qu’elle s’appuie sur une politique migratoire des plus exigeantes, ce qui est loin d’être à l’heure actuelle le cas, avec une Europe-passoire et qui condamne les pays européens qui prennent des décisions fermes.
  • Les capacités de défense communes seraient établies dans une Union européenne de défense, une étape menant à la création d’une armée européenne ; nous observerons ici que si le but est noble, le chemin pour y arriver est pour le moins escarpé. Il faut d’abord définir la finalité de cette Europe de la Défense et elle ne peut en aucune manière définir un ennemi préalable et interroge, une fois encore, sur la pérennité de l’OTAN. De plus une Europe réellement indépendante est-elle compatible avec l’instrument de domination qu’est l’OTAN ? Les Européens ne sont-ils pas assez grands pour se défendre eux-mêmes et promouvoir une défense européenne à égale distance des deux blocs, tout en coopérant avec eux ?
  • L’UE s’exprimerait d’une voix commune sur toutes les questions de politique étrangère et l’Europe devrait être représentée dans « plus de forums internationaux» par une délégation unique, s’exprimant d’une seule et même voix sur la politique étrangère ; cette option est un piège majeur pour la France, qui, rappelons-le, bénéficie du plus grand réseau diplomatique au monde, après les USA et restera le seul pays membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, après la finalisation du Brexit : comment peut-on imaginer une convergence de vue ici, entre la Pologne, la Lettonie et la France par exemple, alors que rien de commun ne nous lie ? Après l’affaire des Mistral, comment peut-on faire confiance à de tels alliés, alors même que notre pays s’est retrouvé bien seul au Mali ?

Comment peut-on imaginer que la France partage son siège permanent à l’ONU, voire y renonce, comme l’ont suggéré certains par le passé, au bénéfice de l’UE, renforçant ainsi le Royaume-Uni (pourtant puissance nucléaire bien plus faible que la France) et l’Allemagne (qui au demeurant devrait sortir de son ambiguïté en termes d’alliance et de défense et vendre ce projet éminemment nouveau à son peuple) ? Enfin qu’en serait-il de la langue diplomatique utilisée, laquelle a naturellement vocation à être le français, alors que les pays de l’Est restent plus que jamais férus d’anglais, ou plutôt d’américain ?

  • Les accords commerciaux seraient négociés exclusivement au niveau de l’UE et ne devraient plus être ratifiés par chaque parlement national ; dit d’une autre manière, le Parlement européen aurait le dernier mot sur tous les accords de libre-échange, supprimant ainsi les processus de ratification complexes au niveau national. Ceci est un autre piège et trahit l’ambition encore mal définie du Livre Blanc, qui vise à déposséder un peu plus les États membres de leurs prérogatives, pourtant inscrites dans le Traité européen.
  • La coopération entre les autorités policières et judiciaires sur la question du terrorisme serait systématique et facilitée par une agence européenne de lutte contre le terrorisme.

Ce Livre Blanc de 29 pages présente cinq hypothèses à considérer par les 27 dirigeants européens lors du sommet du 25 mars, à l’occasion duquel le 60e anniversaire du traité de Rome sera célébré. Les États membres et la Commission semblent favoriser l’option d’une Europe à plusieurs vitesses, dans laquelle certains pays iront vers une plus grande intégration, tandis que d’autres maintiendront leur statut actuel.

Parmi les cinq scénarios envisagés figure le maintien du statu quo par les 27 États membres restants, qui travailleraient de manière traditionnelle pour dépasser leurs différences et renforceraient leur coopération en matière de défense ; mais aussi une plus grande intégration au-delà des frontières de tous les États membres, avec l’instauration d’une politique commune de commerce et un transfert de souveraineté des États à l’UE en matière de défense et de sécurité.

Au nom du « plus d’Europe », l’un des scénarios (le 5e) va encore plus loin. Il suggère que les États membres partageront plus de pouvoirs, de ressources et de prises de décision, en agissant en priorité sur les secteurs de la défense, de la sécurité et du commerce.

Enfin toujours d’après le Livre Blanc, d’ici 2025 :

  • Un groupe d’États membres coopérerait « de manière plus étroite» sur la défense, par la création d’une base industrielle et de recherche commune, par des achats conjoints, par une plus grande intégration des capacités militaires et une disponibilité opérationnelle des forces communes pour des missions à l’étranger ; ces idées paraissent bonnes, mais encore doivent-elles être clarifiées : en ce qui concerne l’avion de chasse par exemple, plusieurs projets industriels sont en concurrence, alors même qu’un seul a prouvé son efficience et sa supériorité (confirmée par les Américains).

Nous parlons du Rafale et des pays de l’Est qui choisiront toujours et encore les États-Unis : rappelons-nous, par deux fois, la triste expérience avec la Pologne du rejet du choix du Rafale le 1er mai 2004, la veille de l’adhésion de ce pays à l’UE et le rejet du projet d’accord déjà finalisé de l’achat d’hélicoptères français – sans que ne soit donnée aucune explication – entre l’Europe et les USA.

  • Une Europe à géométrie variable : d’après certaines sources, la Commission préférerait le scénario numéro 3, en vertu duquel certains États membres pourraient s’intégrer davantage, tandis que d’autres ne changeront rien ou évolueront plus tard vers une plus grande intégration.

Dans une telle perspective, de nouveaux groupes d’États membres se formeraient pour une coopération renforcée dans des domaines politiques tels que la défense, la sécurité intérieure, la taxation ou encore le secteur social. Ils seraient autorisés à renforcer leur coopération dans ces secteurs, tandis que les autres États conserveraient leur statut actuel, comme cela est advenu avec la mise en place de la zone euro et de l’espace Schengen.

Ainsi donc, quel que soit le scénario retenu, parmi les cinq envisagés, Il est urgent que la France ne les fasse pas siens. Si tout se décidera in fine, vraisemblablement dans l’élaboration et le contenu affiné de la « coopération renforcée », il est vital que la France ne renonce pas à son autonomie militaire et à la liberté (déjà relative) de sa politique étrangère, nous voulons parler de son statut de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU.

La Commission européenne feint de renoncer à certaines prérogatives pour mieux s’emparer d’autres pouvoirs bien plus décisifs, comme la sécurité, la défense et les affaires étrangères. Pour la France il est pour l’heure impérieux de s’abstenir et d’observer.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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