2 mars 2017

De la politesse

Par Jean-Pierre Brun

En des temps lointains, un certain Jean Giraudoux, mort en 1944 faut-il le préciser, émettait une remarque un tantinet pessimiste : « Les nations, comme les hommes, meurent d’imperceptibles impolitesses. C’est à leur façon d’éternuer ou d’éculer leurs talons que se reconnaissent les peuples condamnés. »

Pareille affirmation serait-elle aujourd’hui recevable, alors même que le concept de politesse échappe à une majorité de nos concitoyens. Il suffit de grimper dans une rame de métro ou dans un autobus, de regarder une émission dite « grand public » à la télévision, pour en être convaincu. Une étude des plus sérieuses, puisque citée par « notre confrère » Le Monde, souligne qu’aujourd’hui bon nombre d’adolescents ne vivent qu’avec un vocabulaire de 400 mots. Soit ! Mais pour être totalement objectif, il convient de préciser qu’ils disposent par ailleurs d’un nombre impressionnant de jurons à la mesure d’un multilinguisme spécifique pratiqué avec succès.

Selon certains auteurs de la plus haute antiquité (c’est-à-dire antérieurs à mai 1968) la politesse se caractériserait par le respect des bonnes manières, des règles de la bienséance, de la bonne éducation ! Il serait intéressant de faire plancher les élèves d’une classe de philosophie sur les différentes composantes de cette prétendue politesse élémentaire. Histoire de corser l’épreuve, on pourrait même leur demander, en question subsidiaire, de traiter de ce complément insolite qu’est la politesse du cœur, laquelle consisterait à respecter les bonnes manières non seulement dictées par les usages, mais surtout par des sentiments sincères. C’est cette même politesse du cœur qui permettait à Péguy de fustiger ainsi les velléitaires : « Vouloir la victoire et n’avoir pas envie de se battre, je trouve cela mal élevé. »

Posée dans quelque hémicycle politique cette question provoquerait à coup sûr un débat sanglant. Je connais des observateurs, malveillants bien sûr, qui ne manqueraient pas de se référer aux seuls usages parlementaires pour justifier un renvoi des protagonistes devant quelque « Cour des Mécomptes », à créer pour la circonstance.

En effet, comment, en pareil lieu, en appeler à des sentiments sincères ! Pincez-moi, je rêve… Cette surprenante denrée serait-elle encore disponible dans le souk électoral, le caravansérail des partis, le grand bazar des investitures ? Devant l’entrée du « Salon international des Ambitieux », la sagesse devrait inciter le visiteur à fréquenter les arrière-boutiques dans lesquelles s’entassent en toute logique les arrière-pensées, plutôt que ces rutilants « show rooms » dans les vitrines desquels les étalagistes font assaut d’imagination pour mettre en valeur la palette clinquante des faux-semblants, le présentoir des illusions humanitaristes et autres masques antirides gommant les flétrissures des turpitudes politiciennes.

Il faut toutefois reconnaître que les vagues de matérialisme qui s’abattent sur nos sociétés ne facilitent en rien le discernement du chaland car, plus que jamais, comme le soulignait déjà Oscar Wilde, « de nos jours les gens connaissent le prix de tout, mais la valeur de rien. »

Il est recommandé à l’homme sensé de faire sienne une pensée intemporelle d’Alfred Auguste Pilavoine : « La politesse est la grâce de l’homme de bien et le fard de l’hypocrisie. »

Nos pères ne disaient rien d’autre en stigmatisant les trop bonnes manières d’un flagorneur : « Trop poli pour être honnête. »

Mais alors comment définir l’authentique homme de bien ? Enseignant « l’instruction civique », un vieux maître le définissait comme celui pratiquant les vertus. Certes, mais ce parangon virtuel aurait-il quelque chance de réussite dans notre beau pays dont Rivarol se plaisait à souligner déjà l’un de ses innombrables paradoxes.

« La France, affirmait-il, est un pays où il est souvent utile de montrer ses vices et toujours dangereux de montrer ses vertus. »

C’est sans doute la raison qui pousse certains de nos politiciens à camoufler leurs véritables convictions. Les débats sur « le mariage pour tous » en sont la preuve récente la plus flagrante. Ce qui me conduit à solliciter une fois encore le même Rivarol : « Je pardonne aux gens de n’être pas de mon avis ; je ne leur pardonne pas de n’être pas du leur. »

Soljenitsyne ne fera d’ailleurs qu’enfoncer le clou : « Refusons au moins de dire ce que nous ne pensons pas. »

Dans notre société où la prudence la plus élémentaire conduit le bon citoyen, déjà tenaillé par la peur, à n’évoquer hypocritement que des « incivilités de d’jeuns des quartiers », pour ce qui constituerait en d’autres lieux des actes barbares, ne nous resterait-il plus que le recours à l’humour cette fameuse politesse du désespoir.

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Philippe Randa,
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