28 juillet 2017

En vacances : le temps d’Aymé, le temps de sourire

Par Jean-Pierre Brun

Les lecteurs de Erich Maria-Remarque ne m’en voudront pas d’avoir pastiché le titre de l’un de ses romans, du moins je l’espère. De même, les biblistes ne devront y voir de ma part aucune allusion déplacée à l’égard de l’Ecclésiaste.

 

En cette période de farniente, pourquoi ne pas solliciter quelque ancien pour nous aider à relativiser, sinon gommer, les effets des difficultés qui alimentent notre quotidien de français malmenés ? Ses écrits pourraient nous permettre de constater que la maxime célèbre « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » s’applique tant aux sciences physiques qu’aux sciences humaines et qu’elle est aussi intemporelle qu’universelle (ce coquin de Lavoisier était allé se faire voir chez les Grecs pour l’emprunter à Anaxagore). En recourant aux écrits de Marcel Aymé, stigmatisant les travers de son époque, le Français du IIIe millénaire pourrait ainsi découvrir bon nombre d’analogies avec la sienne.

Monument du “Passe-Muraille” de Marcel Aymé par Jean Marais

Monument du “Passe-Muraille” de Marcel Aymé par Jean Marais.

Au fait, pourquoi Marcel Aymé, homme de lettres aussi prolifique qu’inclassable ? Allergique à l’intelligentsia et aux honneurs, pourfendeur de la langue de bois et adversaire farouche de ce qui est devenu le politiquement correct, tel un fol ubiquiste, il se déchaînerait aujourd’hui sur l’échiquier politicien qui nous est imposé, pour en culbuter rois, reines et « cavalets » larvaires. C’est ce qui m’a poussé à déposer à son insu auprès du Bon Saint Pierre et avec l’appui de Saint Michel, patron des Troupes aéroportées, une « perm’ de 24 heures », afin qu’il redescende exceptionnellement m’accompagner tout au long d’une journée, pour une revue de presse, écrite ou parlée, que j’ai le plaisir de partager avec vous.

Dès le réveil notre mal Aymé découvre, à la seule lecture du « Petit Bleu de Bresse », qu’il serait aujourd’hui condamné à la mort civique par les « importants » qui font l’opinion publique, pour avoir souligné leurs penchants de charognards : « Le matin, en ouvrant les journaux, le public avale son bol de sang frais avec gourmandise, mais sans y faire autrement attention. »

Feuilletant ensuite les pages culturelles de la presse nationale il a tôt fait de retrouver la saveur de certains de ses propos d’hier : « Aucun interdit n’a été formulé par l’État, aucune sanction légale ne paraît être à redouter pour l’écrivain qui s’exprimerait librement. Cependant, il règne dans les Lettres un ton prudent, feutré, cafard et baise-cul, fleurant la ligue patriotique, le cabinet noir, l’antichambre ministérielle et la sacristie révolutionnaire. » À la lecture de recensions il se souvient avoir taquiné, plus qu’à son tour, la profession par des commentaires vachards du genre : « C’était un roman dont les connaisseurs disaient merveille et qui avait un grand succès. Même son éditeur l’avait lu. »

Avec les vapeurs d’encens de certaines chroniques « crypto politiciennes », lui revient un jugement non moins caustique porté sur ses pairs « C’est la faiblesse de presque tous les écrivains. Ils donneraient le meilleur d’eux-mêmes et ce qu’ils ont écrit de plus propre, pour obtenir un emploi de cireurs de bottes dans la politique ».

La dernière livraison de L’Obs à Moëlle offre une tribune à l’auteur libertaire Valdemor O’Vash, pour commenter la récente visite du président Trump. Notre donneur de leçons et son souverain mépris pour « ce peuple de grands dadais patriotes » permettent à mon compagnon d’un jour de rappeler la difficulté rencontrée par les Américains pour nous prendre au sérieux : « Pour ce qui est de la France, les Américains l’imaginent assez généralement comme un pays de mœurs dépravées, Paris étant la capitale mondiale de la luxure. »

Relevant ce patriotisme prétendument ridicule il ajoute : « Un homme civilisé doit être capable de lutter et de mourir pour des choses qu’il n’aime pas. »

Esprit des plus ouverts, Marcel Aymé tient à consulter une revue catholique conforme aux exigences pastorales de la Conférence des Évêques de France. L’Écho des clochers fera l’affaire (d’autant qu’il n’y a pas de clochers sans cloches). Mon grand aîné est pontificalement servi. Il relève que déjà, de son temps « le clergé catholique lui-même se flattait d’être à la page et les plus naïfs de ses membres s’entraînaient à parler argot. »

À l’écoute de « Rance Culture » et des propos abscons de Melba Fouille et Sigisbée Gay, il lui semble opportun de se référer à l’une de ses vieilles chroniques allant comme un tablier à nos grands maîtres cooptés : « À force de considérer leur univers sous des espèces poético-esthétiques et de s’appliquer à être toujours dans un état de réceptivité poétique, les plus distingués de nos bourgeois français sont parvenus à un état d’angélique innocence, de crétinisme paradisiaque, qui va jusqu’à les priver des réactions de défense les plus élémentaires. »

Soulignant que c’est dans ce vivier grouillant que sont pêchés les gouvernants, il précise que c’est ce qui l’avait conduit à écrire : « Notre gouvernement ayant adroitement manœuvré pour que la France soit le théâtre des opérations de la prochaine guerre, les Français, assurés d’être atomisés dans le courant de l’année prochaine, sont curieux de savoir ce qu’il adviendra une fois massacrés et inclinent à se demander si Dieu existe pour chacun d’eux. »

Que dire devant l’étrange lucarne ? Sur la chaîne parlementaire, Sévère Sathil, dont l’aptitude à caresser dans le sens du poil fait merveille (il enseigne à « Sciences-Peaux ») s’efforce d’effectuer la synthèse des propos de ses invités confrontés à l’obligation de reconstruire leur parti en ruines, à la veille de leurs universités d’été devenues autant d’hôpitaux de campagne. Heureux comme un gamin auquel on aurait offert une carabine à plombs, le grand Marcel ne tarde pas à tirer sur ces étourneaux : « Chaque fois que la droite réussit à monter l’opinion contre les gauches en faisant la preuve de quelque vilain trafic, elle n’en a finalement d’autre bénéfice que de réveiller sa rancœur. Ses accès d’indignation, pour justifiés qu’ils paraissent, ne sont jamais agréables au public, d’autant moins que celui-ci s’est accoutumé à regarder la vertu comme l’apanage des imbéciles et des hypocrites. De plus, c’est un cas singulièrement irritant que celui du médecin toujours harcelant le malade et jamais fichu de trouver un remède. »

La découverte sur une chaîne d’information de l’interview de l’un de ces apôtres d’organisations supposées faire le bonheur des hommes, lui arrache un aveu des plus amers : « Nos bonnes actions sont souvent plus troubles que nos péchés. »

Des profondeurs de sa boîte à malices il extirpe une réflexion faite naguère à l’un de ces jeunes volontaires pour une mission Outre-mer : « Quand votre stage sera terminé, vous irez aux colonies et vous trouverez là-bas exactement la vie qui vous convient. Vous jugerez les indigènes très supérieurs aux Européens et vous pourrez, tout votre content, avoir honte de vous et de la civilisation que vous représenterez. »

Un judicieux « zapping » nous parachute sur la chaîne BMC en plein milieu d’une messe célébrée par Phocas Burn et Thadée Magot, les grands prêtres de la Repentance. Il n’est pas question pour mon invité de laisser passer pareille occasion : « S’il me fallait mettre en lumière l’abondante supériorité de notre peuple en opposant l’Allemand et le Français, je dirais du premier qu’il est voué à l’envie qui le pousse en avant, et du second qu’il est voué au remords, qui le tire en arrière »

Eh oui ! Rien de nouveau sous le soleil, comme l’aurait souligné le roi Salomon il y a quelques années déjà. Mais sous peine de lui faire encourir les foudres du chef de poste, il est temps de renvoyer le bienheureux Marcel à la caserne céleste. Pour autant ne perdons rien de notre humeur gaillarde malgré cet ultime avertissement qu’il nous lance : « La vie, ça finit toujours mal. »

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Philippe Randa,
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