12 novembre 2016

Les « arrivés » de la République beur

Par Philippe Randa

 

Nicolas Beau est un journaliste d’investigation comme il y en a finalement peu, la plupart des professionnels de l’information se contentant en général de puiser leurs sources dans les dépêches de l’AFP. Ancien (entre autres journaux) du Monde, de Libération et du Canard enchaîné, il dirigea le site Bakchich qui révéla en son temps son lot de scandales contemporains ; par ailleurs, auteur de livres sur la France « métissée » (titre de son premier ouvrage en 1986), l’Afrique du nord (Maroc, Tunisie,…) ou encore le Qatar « cet ami qui nous veut du Mal », il s’est tout naturellement intéressé aux « beurgeois », ces Français issus de l’immigration ayant « réussi » ; ces derniers étant de trois sortes – professionnelle, artistique ou politique –, Nicolas Beau consacre son livre quasi exclusivement à celles et ceux qui ont hanté ou hantent toujours la scène politique : de Rachida Dati à Najat Vallaud-Belkacem, de Kader Arif à Ramzi Khiroun pour ne citer que ceux qui apparaissent en couverture de son livre(1), en compagnie de leurs mentors respectifs : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls ou Dominique Strauss-Kahn. Rien que du Beau Monde pour un monde qui, justement, ne l’est pas tellement, nous fait découvrir l’auteur !

Les Beurgeois de la République, Seuil.

Les Beurgeois de la République, Seuil.

Le livre est une galerie de portraits de ces « arrivés » de la république beur dans les fourgons des partis de gouvernement, de droite comme de gauche. Et de ceux-là quasi exclusivement, car rien n’est dit, assez étonnamment, sur les beurs du Front National, aujourd’hui premier parti de France en nombre d’électeurs… et premier à en avoir fait élire ! Ce sont les grands absents de cette étude, pourtant fouillée.

Car sans remonter jusqu’à Ahmed Djebbour, député d’Alger de 1958 à 1962 et pour lequel Jean-Marie Le Pen perdit un œil en faisant sa campagne électorale lors d’un meeting à la Mutualité, il aurait tout de même été bon de rappeler que Soraya, fille d’Ahmed Djebbour, fut la première femme musulmane élue au conseil régional d’Île-de-France, en 1986, sous l’étiquette du mouvement à la flamme tricolore… précédant Farid Smahi conseiller régional FN d’Île-de-France de 1998 à 2004 et qu’aujourd’hui, le président du Siel, élu conseiller régional du RBM, a nom Karim Ouchikh…

Gilles Kepel, auteur de Passion française (enquête sur les candidats issus de l’immigration aux élections législatives de 2012, Gallimard), a par ailleurs reconnu que « depuis trois ans, le tabou du FN a sauté chez ces électeurs. »

Parmi tous les nombreux élus et responsables issus de la diversité, comme il est politiquement correct de dire, que Nicolas Beau a rencontrés et interrogés avec justesse, on ne s’explique guère l’absence d’un Camel Bechikh, président des Fils de France (français patriotes et musulmans), devenu une des figures particulièrement remarquées de la Manif pour tous.

Ni même qu’il ne soit pas fait mention de Stéphane Ravier, élu maire FN dans le VIIe secteur de Marseille, celui de ces quartiers nord où la population d’origine immigrée est particulièrement importante ; on ne conçoit guère qu’il ait pu en devenir le Premier édile sans un apport de suffrages important de celle-ci.

Peut-être Nicolas Beau aurait-il pu en toucher un mot à Malek Boutih lors de leur échange… Le député PS de l’Essonne confiait, en effet, dans un entretien au Point, un souvenir personnel, dans les tribunes du Stade de France lors de matches de foot : « Autour de moi, les Blacks et les Beurs étaient supercontents de chanter La Marseillaise. Certains Français en ont marre de ne pas être reconnus comme tels. Finalement, il n’y a que le FN qui leur propose un réel sentiment d’appartenance à la nation française et à une communauté de destin » (Le Point, 9 octobre 2015).

À cette restriction frontiste près, le livre de Nicolas Beau reste fort instructif. Il nous montre comment, partis pour la plupart de leurs banlieues délaissées, les beurgeois doivent d’abord leur réussite à leur extrême énergie à sortir coûte que coûte de leurs conditions, à leurs dévorantes ambitions personnelles et surtout à un incommensurable culot. Seulement ? Non, ils doivent tout autant leur succès à l’extrême cynisme des dirigeants de gauche (PS, PC) ou de droite (LR, Centristes) qui ont favorisé leur fulgurante ascension jusqu’aux ministères les plus prisés, aux moins pour deux figures les plus emblématiques de cette beurgoisie politique : Rachida Dati pour la Sarkozie, Najat Vallaud-Belkacem pour la Hollandie…

Mais cette réussite flamboyante de quelques-uns a un revers qui laisse un goût amer (euphémisme !) aux millions de leurs coreligionnaires qui croupissent toujours dans leurs banlieues ghettos : qu’a fait pour eux cette poignée de privilégiés qui s’en est échappée ? Poser la question, c’est y répondre : rien ! Pas davantage, en tout cas, que les ténors politiques qui les ont utilisés avec outrance à seule fin électorale pour légitimer leur discours anti-raciste.

Pire encore : à travers les portraits décapants que Nicolas Beau leur consacre, ces élus de la République apparaissent finalement comme de piètres figurants, de médiatiques potiches, des « idiots utiles » pour donner des gages au discours antiraciste, omniprésent dans les médias et les postures politiques…

« Pas plus que Rachida, Rama, Fadela (Amara) et les autres, Jeannette (Bougrab) ne laissera de grands souvenirs », écrit, impitoyable, Nicolas Beau (p. 150).

Car que retenir de leurs actions à la tête de leurs Ministères ou Secrétariats d’État ? Ainsi, Rachida Dati, dénoncée comme indifférente aux « cités où elle a grandi », mais surtout « d’une formidable désinvolture dans l’exercice de ses fonctions. On la surprend, au cours de la discussion au Sénat du projet de loi sur la récidive, plongée dans la lecture de Gala» (p. 138)

Et nullement en reste pour publier des confidences « off », Nicolas Beau ne se gêne pas de rapporter cette déclaration (privée) de Roselyne Bachelot sur Rama Yade qui « n’a(urait) pas laissé un souvenir impérissable », elle non plus : « Heureusement qu’elle n’était pas lesbienne et handicapée en plus d’être femme et issue de la diversité, elle aurait été nommée Premier ministre. » (pp. 148-149).

Quant aux intéressés, élus par pure stratégie politique, le pire semble qu’ils se soient finalement contentés de jouir des seuls privilèges de leurs fonctions. Ces anciens ministres ou secrétaires d’État sont en effet devenus de parfaits profiteurs des ors de la République, obsédés qu’ils sont par l’idée de faire oublier leurs origines, à l’exemple de Najat Vallaud-Belkacem qui écrit dans son livre Raison de plus (Fayard) : « Rien ne me semble plus triste que d’être enfermée dans la caution de la diversité et d’être réduite à la représentation d’une communauté ou d’un groupe de personnes » (p. 193).

Cachez ce passé que l’actuelle sémillante ministre de l’Éducation nationale ne supporte pas… N’a même, semble-t-il, jamais supporté au point de confier encore, toujours dans son livre : « Je ne suis pas à proprement parler une fille de banlieue » ! (p. 193) Qu’on se le dise !

Oublieux de leur passé, donc, mais pas de leur avenir car tous n’ont en tête que de conserver quoi il advienne et coûte que coûte, leurs prérogatives conquises à l’évidence ! À la hussarde… et peut-être aussi, un petit peu grâce à leurs seules origines ethniques, car qui en douterait après avoir lu Nicolas Beau ?

S’il y a une intégration qui a vraiment fonctionné en République française cinquième du nom, semble-t-il, c’est d’abord celles des privilèges acquis !

On comprendra alors aisément que ce livre ne plaît guère et que les médias rechignent à en assurer la promotion. On comprend pourquoi !

Note

(1) Les Beurgeois de la République, Nicolas Beau, Seuil.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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